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Plan de riposte COVID 19 : L’analyse de l’économiste Mamadou Barry

Fap gaz

Chers compatriotes, nous ne sommes pas dans une situation normale. Le contexte actuel est exceptionnel et requiert la contribution de tout un chacun selon ses talents et capacités.

Le Président de la République et le Premier Ministre ont lancé un appel à toutes les composantes de la Nation à se mobiliser. Des ONG, des médias et des entreprises initient ici et là des actions pour combattre cette pandémie de covid-19 ou pour atténuer ses effets sur la population, notamment les catégories les plus vulnérables.

 Dans cette perspective, j’ai décidé entant qu’enseignant chercheur de partager une analyse du plan de riposte de l’Etat. Ceci est conforme à l’appel lancé aux chercheurs par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique leur demandant de mettre leurs compétences à la disposition des pouvoirs publics et des communautés.

L’objectif ici est donc double. Il s’agit :

  • d’aider les autorités à prendre les meilleures décisions en les fondant sur des évidences. Pour le plan de riposte, il existe encore par exemple la possibilité de l’affiner avant le début de sa mise en œuvre ;
  • d’aider les citoyens à se faire un avis technique dans un contexte dominé par des prises de position politique et

Dans cette analyse, qui n’est volontairement pas exhaustive, j’aborderai la nécessité d’un plan de riposte, les instruments qu’il mobilise, la qualité des mesures qu’il contient, le financement envisagé et les risques qu’il comporte

  1. De la nécessité d’un plan

Tout d’abord, la lutte contre la maladie exige des ressources nouvelles et une réorganisation des ressources existantes pour les aligner à la nouvelle priorité : la lutte contre covid-19 et ses effets.

La Guinée en raison de sa pauvreté structurelle et de la qualité de sa gouvernance (globale et sectorielle) ne consacre pas assez de ressources à la santé.

Ensuite, les conséquences sanitaires et socioéconomiques de covid-19 dans les pays affectés en premier ont été d’une telle ampleur (plusieurs millions de personnes se retrouvent au chômage du jour au lendemain aux Etats Unis, la France annonce déjà un effondrement de son PIB de 6%) que même les pays non encore gravement touchés doivent au minimum prendre des mesures préventives.

En plus de la prévention, la Guinée doit débuter la riposte économique. Une enquête menée ces dernières semaines par le cabinet Faleme Consulting à Conakry et dans les 4 régions naturelles du pays montre que le secteur privé, dans son ensemble, déjà éprouvé par les effets de la crise sociopolitique, est maintenant menacé par la pandémie du Covid-19. Le rapport[1] note des tensions de trésorerie, des arrêts des chaînes de production, des pertes de revenu et du chômage. etc. Conséquences de tout cela, le rapport indique que près de 90% des entreprises sondées ont enregistré une baisse de leurs chiffres d’affaires, et un tiers d’elles estiment ces baisses à plus 40%.

En dehors de ce rapport, chacun pourra constater que :

  • aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé un système de rotation des employés est mis en place pour combattre la maladie ;
  • une optimisation des emplois est encours de mise œuvre avec des mises en congé technique, voire carrément des suppressions de postes ;
  • les activités et entreprises qui dépendaient au transport aérien sont à l’arrêt.

Enfin, même si l’épidémie reste encore sous contrôle en Guinée, il faut savoir que notre économie importe beaucoup des produits de consommation et des équipements des pays affectés par le covid-19. Selon les données de la Banque Mondiale, le poids des importations dans le produit intérieur brut (PIB) de la Guinée était de 53% en 2018, chiffre supérieur à ceux observés dans certains pays de la sous-région comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

Tout cela démontre à suffisance que la Guinée a besoin d’un plan de riposte.  Le gouvernement et le Premier Ministre sont à féliciter pour l’avoir initié.

  1. Des instruments mobilisés

Le plan de riposte mobilise des instruments de politique budgétaire et politique monétaire[2]. De ce point de vue, le plan initié par le gouvernement est classique. Il correspond à ce qui est fait dans la plupart des pays lorsqu’ils sont confrontés à des chocs qui affectent négativement la demande (consommation et investissement) et l’offre (production de biens et services).

  1. Des catégories de mesures du plan de relance

Les mesures sont classées selon trois (3) catégories. D’abord, les mesures qui ciblent la riposte sanitaire, ensuite les mesures sociales qui ciblent les ménages et enfin les mesures économiques qui ciblent le secteur privé.

La première observation qu’il convient de faire est que les coûts budgétaires de toutes les mesures n’ont pas été évalués. Le coût du plan pourrait s’avérer au final être plus élevé que ce qui est indiqué actuellement.

La seconde est que la répartition des ressources par cible semble équilibrée si l’on en juge par les données financières indiquées dans le plan. La riposte sanitaire constitue le premier poste avec 36% des ressources, le soutien au secteur privé en seconde position avec 34% et l’aide aux ménages en troisième position avec 30%.

Le coût du plan sur la base des informations chiffrées est de 3113 milliards de francs guinéens.

Tableau 1 : répartition des ressources par catégorie

Catégories de mesures Montant (en Mds de GNF)[3] Poids (%)
Mesures de riposte économique dans le domaine sanitaire 1125 36
Mesures d’ordre social 927 30
Mesures en faveur du secteur privé 1061 34
Total 3113 100
  1. Des secteurs économiques couverts

De tous les secteurs, seul le secteur du tourisme et de l’hôtellerie a bénéficié de mesures spécifiques. Les autres secteurs ont bénéficié essentiellement d’un soutien à la trésorerie à travers un report du paiement des impôts ou des dettes.

Cependant, le secteur du transport terrestre privé mériterait des mesures spécifiques pour faciliter l’application des mesures de distanciation dans les véhicules ou de pulvérisation des véhicules. Les agences de voyage et autres secteurs plus exposés aux décisions à l’international mériteraient également des mesures spécifiques. Les secteurs touchés par les premières mesures de lutte contre le covid-19 doivent être également pris en compte : l’agriculture, de l’élevage et de la restauration.

  1. De la qualité des mesures

Il faut dire que les ressources publiques ne sont pas à utiliser juste parce qu’elles existent. Bien qu’il soit souvent populaire de distribuer des ressources, cela ne conduit pas nécessairement à une amélioration de la situation de ceux qui en ont le plus besoin. D’abord, parce qu’il n’y a jamais assez de ressources pour s’occuper de tout le monde. Ensuite, parce que les bureaucraties publiques en charge de la mise en œuvre capteront une bonne partie des ressources en les convertissant en coût de mise en œuvre. Enfin, parce que cela pourrait conduire à des mauvaises incitations pour les bénéficiaires. Les aides réduisent souvent l’incitation à prendre des initiatives au niveau des bénéficiaires.

Mais comment peut-on analyser la qualité des mesures ? il y a plusieurs aspects à prendre en compte. D’abord, est ce que la mise en œuvre des mesures ainsi que l’atteinte de leurs résultats peuvent être suivies au moyen d’indicateurs SMART ? Cela pose les problèmes de clarté pour les citoyens, de mesure des résultats, de la possibilité de relier les mesures aux effets de covid-19 qui les ont suscités. L’idée est qu’à chaque effet de covid-19 ou ensemble d’effets doit correspondre une mesure ou un ensemble de mesures. Cela suppose au préalable un travail de diagnostic.

Ensuite, est-ce que ces mesures sont les plus « coûts efficaces », ce qui revient à comparer les mesures proposées à leurs alternatives.

Enfin, la raison d’être d’une politique publique étant l’intérêt général, il est important d’examiner les mesures à l’aune des principes de justice, d’équité, d’inclusion. L’aspect efficacité n’est pas souvent suffisant pour faire accepter une politique publique.

Dans cette section, je prendrai quelques mesures et les discuterai à la lumière des différents aspects cités ci-dessus[4].

  1. Le soutien au dispositif de surveillance et de prise en charge et le soutien au système de santé : si la pertinence de ces deux mesures n’est pas discutable, elles ne sont pas sans soulever des questions. Que contiennent-elles ? Concernant le dispositif de surveillance, s’agit-il d’un dispositif pour Conakry ou pour l’ensemble du pays (notamment les frontières). Quel y est le poids de la communication ou de l’acquisition d’équipements (tests, centre de mise en quarantaine, matériels d’assistance respiratoire). Les mêmes questions se posent pour le soutien au système de santé. A-t-on prévu de doter les hôpitaux de lits, de laboratoires, … ? Recrutera-t-on plus personnels de santé ?

C’est pourquoi, ces mesures doivent être décomposées pour permettre à l’opinion de savoir ce qui est réellement envisagé et à quel coût. Bien sûr, un discours n’est pas le cadre approprié pour préciser tous les détails, cependant le document qui a circulé après le discours du PM aurait dû contenir ces éléments.

Ces détails devraient permettre de juger de la pertinence des actions envisagées dans le cadre de ces mesures, de réussir un suivi efficace et d’obtenir une confiance de la population, qui soupçonne systématiquement l’élite politique et administrative de tirer profit des crises sans accompagner réellement les victimes.

A noter que sans les détails, il est impossible de se prononcer sur l’aspect coût-efficacité des mesures.

  1. Le plan d’urgence de l’ANIES: cette mesure souffre des mêmes limites que les précédentes. L’ANIES doit produire un plan programmatique pour édifier l’opinion. Telle que formulée, la mesure ne permet pas de savoir quels services ou accompagnements le gouvernement est entrain d’acheter à des centaines de milliards. L’ANIES n’étant la seule structure publique évoluant dans le domaine du social, l’efficacité de l’action publique serait accrue si toutes les expertises publiques sont mobilisées. En outre, l’ANIES étant une structure naissante, elle pourrait profiter des expériences accumulées par les autres structures, plus anciennes.
  2. Prise en charge des factures (avril à juin) des abonnés au tarif social de l’eau et de l’électricité : Cette mesure est certainement utile dans le cadre de la prise en compte des pertes de revenus liées aux effets économiques de la maladie, notamment pour Conakry et certaines villes de l’intérieur du pays desservies par les réseaux d’eau et d’électricité de la SEG et d’EDG. Mais, elle reste critiquable au regard des principes d’équité et d’inclusivité[5]. En effet, cette mesure ne concerne pas une bonne partie de population guinéenne même à Conakry. Et d’ailleurs cette gratuité totale risque de conduire à des consommations abusives. Cependant, cela ne constitue pas une raison pour la supprimer. Les critiques doivent être interprétées comme une invitation faite à l’Etat d’initier des mesures pour les autres composantes non concernées par cette mesure et à limiter la gratuité pour réduire les risques de surconsommation.
  3. Gel des prix des denrées de première nécessité et des produits de santé pour toute la durée de la crise sanitaire : Cette mesure appelle à plusieurs commentaires. Tout d’abord, il aurait été utile pour les citoyens de savoir quelles sont les denrées réellement concernées. Ensuite, aucun coût n’est porté à côté de cette mesure. Or elle a un coût, soit pour l’Etat, soit pour le secteur privé. Quelque soit l’acteur qui aura à supporter le coût, il est important qu’il soit évalué. Enfin, le comment n’est pas indiqué. Sachant le poids du secteur informel dans notre économie, il est fort à parier que cette mesure sera de faible effet. Cela donne l’impression que nous avons à faire à une intention sans nécessairement avoir les moyens pour passer à la mise en œuvre.
  1. Gratuité pour trois mois des transports publics (bus et train)

Cette mesure de gratuité parait excessive et sans garanti d’impact. Au contraire elle pourrait conduire à un gaspillage de ressources. En effet, la gratuité totale pourrait inciter des personnes n’ayant pas réellement besoin de se déplacer d’emprunter les transports en commun pour le simple plaisir de se promener[6]. Cela peut provoquer des longues files d’attente et empêcher ceux qui en ont besoin d’utiliser les transports en commun de le faire. Maintenir un prix, même faible, est utile. Aussi, comme l’offre de transport public est faible, des mesures complémentaires et spécifiques pour les taxis seraient bienvenues. Une baisse du prix du carburant est autre une piste[7]. Elle pourrait être plus efficace que la ponction pour alimenter le fonds de riposte car elle ne comporte aucun coût majeur de gestion.

Je me limite à ces mesures à titre d’illustration. Les commentaires de ces mesures permettent de voir les possibilités d’amélioration des autres mesures pour une mise en œuvre efficace.

  1. Du financement

L’analyse du niveau de mobilisation des ressources publiques pour les mesures budgétisées montre que sur les 3113 milliards budgétisés, l’Etat a mobilisé 1794 milliards, soit 58%. Cela obligera certainement l’Etat à une mise en œuvre progressive du plan.

Tableau 2 : Niveau de mobilisation des ressources

Postes Montant (Mds GNF)
Coût total des mesures 3113
Ressources publiques déjà mobilisées 1794
Besoin de financement des mesures budgétisées 1319

 

Cependant, l’ambition de l’Etat est de mobiliser plus de 5000 milliards de GNF. La contribution envisagé et chiffré à ce stade de l’Etat est de 1794 milliards, soit 35% du total. Le reste, 3273,9 milliards, est attendu des bailleurs. Soit 65%.

La Guinée semble donc compter essentiellement sur les bailleurs internationaux, sauf si notre secteur privé s’engage de manière significative.

Tableau 3 : Sources de financement identifiées

Financement du plan (fonds de riposte covid-19) Montant (Mds GNF) Poids
1 Ponction sur le prix du pétrole à la pompe (avril à décembre) 405 8%
2 Plan d’urgence ANIES 439 9%
3 Report du service de la dette extérieure (2020) 900 18%
4 Mobilisation d’une partie des dépenses communes 50 1%
Total Etat 1794 35%
5 Catastrophe Containment and Relief Trust & Emergency financing instruments (FMI) 1887 37%
6 Package Covid-19 Banque mondiale (mesures d’ordre sanitaire) 943,5 19%
7 Gouvernement des Émirats arabes unis (compris dans le plan ANIES) 141,5 3%
8 BID, BADEA, etc. 0 0%
9 Banque africaine de développement 301,9 6%
Total bailleurs 3273,9 65%
TOTAL 5067,9 100%

 

  1. Des risques

La mise en œuvre du plan comporte des risques. La primature devrait exiger des différentes parties prenantes les détails budgétisés des mesures.  Il est important que chacune des mesures soit reliée aux effets de covid-19 qu’elle est sensée combattre ou atténuer[8]. Ce qui suppose au préalable un diagnostic. Aussi, il faudrait veiller à ce que la gestion des ressources dans le cadre de ce plan de riposte échappe aux lourdeurs et tracasseries bien caractéristiques de l’administration. Il faut mettre en place des procédures diligentes mais suivies et auditées régulièrement pour s’assurer d’une bonne utilisation des ressources.

  1. Conclusion

En guise de conclusion, il est important de noter premièrement que le report du paiement des factures d’eau et d’électricité pour les entreprises risque de présenter une importante charge financière à la fin de la période de report. Il faudrait également envisager de leur accorder un plus un étalement de ces paiements.

Deuxièmement, il faut noter que la principale leçon de cette analyse est que la finalisation du plan doit se poursuivre. Un travail de diagnostic doit être mené pour cerner finement les mécanismes par lesquels cette pandémie de covid-19 affecte notre économie. Ce diagnostic doit guider l’affinement des mesures. Le défi pour l’Etat réside ici dans la nécessité de mobiliser plusieurs ministères, acteurs du secteur privé et de la société civile, et des expertises variées.

Cela exigera donc beaucoup de leadership de la part de l’Etat. En effet, le leadership est une qualité indispensable pour conduire les hommes vers un résultat profitable à tous, surtout en période de crise.

Mamadou Barry, Economiste, PhD.

Enseignant-Chercheur

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