Dans un entretien à bâton rompu accordé à jeuneafrqiue, le président de la république Alpha Condé, revient sur son arrestation en décembre 1998 à Piné et ses conditions de détentions à la maison centrale de Conakry.
Le 16 décembre vous êtes interpellé…
On m’a arrêté à Pinè non loin de Sipilou. C’était en début de soirée, j’avais un thermos à la main et mon garde du corps, Ben Kourouma était parti prendre un café dans un bar. De là on m’emmène à Kissidougou et on me fait venir par avion à Conakry.
Avez-vous été maltraité ?
Non. Le président Conté avait ordonné de me placer en résidence surveillée chez moi. Il faut rendre à César ce qui est à César. Mais quelqu’un est venu lui dire : « Non, non, il y a un complot, on a des preuves contre lui ». Des leaders politiques sont venus lui raconter les mêmes sornettes. Je préfère taire leurs noms, ils se reconnaîtront.
Vous êtes donc conduit au camp Koundara, où vous êtes détenu pendant trois semaines. Et ensuite ?
On m’emmène dans l’une des villas de l’OUA [Organisation de l’Unité Africaine], où j’étais détenu avec un lieutenant. Conté a dit : « Je ne veux pas qu’il lui arrive un malheur qu’on va me mettre sur le dos ». Et il a ordonné au colonel qui dirigeait le camp : « Il va manger ce que tu manges ». Le colonel en question était Seyni Camara, ancien attaché militaire à Paris sous Sékou Touré. A l’époque, nous avions de très bons rapports. Nous prenions le café ensemble mais je ne savais pas qu’il était attaché militaire. Et je n’ai jamais su quel était son rôle. Quand il est venu me voir et se présenter en m’appelant « sökhö » [oncle en soussou], j’ai dit : « quel Seyni? » « Mais nous étions ensemble en France », a-t-il expliqué. Mais plus tard, il a dérapé en racontant que 50 zodiacs français bourrés de mercenaires attendaient en mer, prêts à attaquer la Guinée pour me délivrer. Comment moi, un simple civil pouvais-je acheter 50 zodiacs ? On a échafaudé tout un scénario. C’était du grand n’importe quoi.
C’est alors qu’on vous a transféré à la prison centrale. Pour quelle raison ?
En fait, ils étaient inquiets parce qu’ils pensaient que l’armée m’était favorable et que les militants risquaient de faire appel à elle pour me protéger. Ils avaient peur. Du coup, ils sont venus me chercher à 2 heures du matin. Un lieutenant m’a dit : « On va voir le juge ». « À 2 heures du matin ? Comment ça ? Vous plaisantez ! » me suis-je étonné. Ils avaient pris toutes les mesures, bloqué les rues, etc. Et ils m’ont conduit à la maison d’arrêt. Ils avaient évacué un grand bâtiment où il y avait plus de 300 détenus pour que je me retrouve seul. Toutes les pièces avaient été vidées. Et je me suis retrouvé isolé, enfermé, sans aucun contact avec les autres prisonniers.
C’est le début d’un isolement qui va durer plus de 2 ans…
Oui, ça a duré. Mes avocats, dont mon neveu Christian Sow [futur ministre de la Justice] me disaient : « Alpha, il faut marcher. Toute la journée il faut marcher. » Je ne comprenais pas pourquoi, mais j’ai marché dans la cour. C’est lors de mon procès, quand je suis enfin sorti, que j’ai compris. J’ai vu des premiers qui étaient devenus infirmes, car si vous êtes en prison et que vous ne marchez pas, vous finirez par perdre l’usage de vos jambes.
Vous faites plusieurs grèves de la faim, pour quelles raisons ?
Parce qu’on me refusait tout. Je n’avais ni journaux, ni radio, ni médicaments, rien.
Source jeuneafrique