Dr BAH Alpha Abdoulaye, est médecin et conseiller communal indépendant de la commune rurale de Sangaredi. Face à la crise sanitaire liée au coronavirus qui touche la Guinée, il interpelle les autorités à tous les niveaux et notamment l’ANSS pour une mutualisation des méthodes de lutte dans la zone économique spéciale de Boké. Il invite aussi les compagnies minières à s’impliquer dans la riposte contre le covid 19.
Convergenecgn.com : La Guinée fait face à une crise sanitaire liée au covid 19. Pour commencer Dr Bah, qu’est-ce que c’est que le Coronavirus ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : Les coronavirus sont une vaste famille de virus qui doivent leur nom à la forme de couronne des protéines qui les enveloppent. Ce sont des virus dont certains infectent différents animaux et d’autres l’homme. En infectant l’homme les coronavirus peuvent être à l’origine d’un large éventail de maladies allant du simple rhume à l’infection pulmonaire sévère provoquant une détresse respiratoire aiguë et malheureusement parfois la mort.
Convergenecgn.com : Est-ce la première fois que ces virus entrent en scène dans la santé publique mondiale ?
En effet, c’est l’impression qu’on a en suivant les informations sur la pandémie actuelle mais en réalité il y a eu courant le 21ème siècle deux épidémies mortelles liées à des coronavirus jusque-là inconnus, hébergés par des animaux et qui ont été transmis à l’homme, il s’agit du :
- SARS-CoV-1qui est un coronavirus qui est apparu en Chine et qui a sévit entre 2002 et 2003. Il a été à l’origine du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) dont plus de 8 000 cas ont été notifiés dans 30 pays avec 774 décès.
- MERS-CoV qui est aussi un coronavirus qui lui a été détecté en Arabie saoudite entre 2012 et 2013 et qui a été responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient avec 1 589 cas et 567 décès enregistrés dans 26 pays.
Et la troisième épidémie mortelle est celle que nous vivons actuellement et qui est causée donc par le SARS-CoV-2, apparu à Wuhan, dans la province de Hubei en Chine en décembre 2019. À ce jour, elle touche 193 pays dans le monde avec 3.018.952 cas dont 207.973 décès.
Convergenecgn.com : Quelle est la situation aujourd’hui en Guinée ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : En Guinée, notre pays le 1er cas a été notifié le 12 mars 2020 et depuis cette date la situation a évolué et le pays est désormais classé au stade II de l’épidémie. À la date du 29 avril 2020, le pays comptabilise 1351 cas confirmés avec 07 décès, 313 guérisons. Pour faire face à cette situation un état d’urgence sanitaire a été décrété pour une durée de 30 jours sur toute l’étendue du territoire national avec instauration d’un couvre-feu de 21 heures à 5 heures du matin, la fermeture des écoles et mosquées, l’interdiction des regroupements de plus de 20 personnes etc…
Les autorités ont également mis en place un dispositif de riposte avec des centres de dépistage et de traitement et des campagnes d’information et de sensibilisation ont démarré un peu partout dans le pays. D’autres mesures s’y sont ajoutées avec l’évolution de la situation notamment la restriction des déplacements de Conakry vers les provinces ainsi que la limitation du temps d’ouverture des marchés à 16h.
Convergenecgn.com : Pensez-vous que ces mesures sont efficaces aujourd’hui ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : Bien sûr que oui car toutes ces mesures sont prises sur la base de la connaissance des modes de transmission et de propagation du virus. Cependant, comme toute mesure elles ont leurs limites.
Convergenecgn.com : Des limites ? pouvez-vous nous en parlé ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : Oui, vous savez il y a une différence entre l’annonce d’une mesure et l’effectivité de son application sur le terrain qui exige de la part des populations une compréhension du bien-fondé desdites mesures mais aussi de la part des autorités de la disponibilité des moyens humains et matériels pour faire appliquer les mesures. Et comme dans nos conditions ces moyens sont limités on aurait mieux fait de mettre en avant la pédagogie et l’éducation citoyenne que la coercition ou la répression toute chose qui fait naitre chez les populations une défiance vis-à-vis des autorités. Ainsi, nous voyons aujourd’hui malgré les efforts des autorités que les déplacements de Conakry vers les provinces se poursuivent même si le flux est réduit, des regroupements se poursuivent à l’intérieur de nos quartiers à l’occasion de mariages, baptêmes, sacrifices qui sont dissimulés derrière les portails fermés des concessions et parfois même on observe des tournois de football organisés par les jeunes qui ne vont plus à l’école. Il y a quelques jours le port du masque a été rendu obligatoire mais là aussi la pédagogie à manquer, malgré que la plupart des citoyens ont acheté des masques, ils ne les portent pas correctement ou ne les porte que lorsqu’ils aperçoivent les forces de l’ordre. Ce sont toutes ces choses qui me font dire que les différentes mesures ont des limites.
Convergenecgn.com : Arrêtons-nous maintenant sur Sangaredi votre localité. Quelle situation y prévaut ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : Bon n’étant pas sur place car je vis à Conakry, je m’informe régulièrement sur la situation à travers mes contacts sur place car jusqu’à date aucun canal officiel d’information n’a été mis en place par l’exécutif communal pour informer les conseillers et les populations sur la situation. Donc, comme je l’ai dit je m’informe par mes contacts et les réseaux sociaux. C’est à travers ces canaux qui j’ai constaté que des kits d’hygiène étaient en train d’être distribué et placé dans certains espaces publics et à l’entrée de services à travers des ONG locales, qu’une chaine de solidarité était en train de mettre progressivement en place avec des entreprises et des particuliers (que je remercie de passage) qui font des dons pour contribuer à la lutte etc…
J’ai aussi appris à travers mes contacts que 2 cas suspects ont été signalés mais pour le moment je n’ai pas la confirmation officielle de ces cas.
Convergenecgn.com : En tant que conseiller communal et membre de la commission santé et éducation comment comptez-vous vous impliqué dans cette lutte ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : En fait au début j’attendais une invitation formelle de l’exécutif communal à l’endroit de notre commission pour élaborer un plan de gestion et de riposte face à l’épidémie mais après plusieurs jours d’attente il n’y avait toujours rien à l’horizon. Alors j’ai décidé de contacter des jeunes sur place pour engager une dynamique par rapport à la situation. C’est ainsi, qu’après mes consultations j’ai proposé un projet avec différents volets qui pouvait permettre d’assurer une surveillance et gestion optimale de la situation avec la mobilisation des ressources et des acteurs locaux. Mais vous savez notre pays est compliqué, au moment où mon projet arrivait un groupe avait déjà été mis en place et ce dernier à élaborer un plan et une stratégie que les autorités locales ont soutenues malgré que ce dernier n’abordait qu’une partie seulement de la situation.
Convergenecgn.com : Vous dites une partie seulement de la situation, pourquoi ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : Je le dis en connaissant la situation géographique de Sangaredi, sa place dans l’économie nationale et les caractéristiques de sa population. Sangaredi est une ville minière qui a vu sa population doublée voire triplée ces dernières années à cause de l’accélération de l’exploitation minière à travers l’installation de nouvelles sociétés. Ce qui a provoqué l’arrivé de nombreux concitoyens et d’étrangers pour répondre aux besoins en main d’œuvre de ce type d’industrie et beaucoup de ces derniers n’ont pas leurs familles sur place, ils doivent faire des déplacements fréquents vers leurs villes ou pays d’origine. Il y a aussi le fait que tout ce beau monde se retrouve en interaction dans les différentes installations et chantiers miniers d’une part et d’autre part avec le reste de la population de la ville, ce qui constitue un facteur de risque élevé. Par ailleurs, depuis 2 ou 3 ans, Sangaredi est devenu une plaque tournante pour les migrants saisonniers qui partent des différents villages de Sangaredi et de certaines localités environnantes de Télémélé vers la Guinée-Bissau et le Sénégal, deux pays voisins également touchés par l’épidémie qui ont décidés des mesures restrictives qui ralentissent l’activité économique comme en Guinée, ce qui poussent ces derniers à retourner dans leurs villages d’origine parfois de façon clandestine pour éviter les restrictions de déplacement. Ce sont toute ses raisons qui m’ont amené à penser que les actions actuelles sont nécessaires mais ne seront probablement pas suffisantes pour protéger efficacement Sangaredi et sa population.
Convergenecgn.com : Que proposez-vous pour compléter ces actions ?
Dr Alpha Abdoulaye Bah : En fait dans le travail que j’avais fait je proposais une approche plus complète avec l’idée qu’il est possible de favoriser l’intégration de tous les moyens techniques et humains ainsi que le renforcement des capacités de toutes les structures (publiques, privés et communautaires) de Sangaredi pour assurer la riposte face au COVID-19 à travers la mutualisation des ressources, la coordination des actions et l’implication de tous les acteurs de la vie socio-économique locale.
Cette action allait aider à la mise en place d’un cadre harmonisé et coordonné d’intervention qui garantit une surveillance et une gestion optimale de l’urgence sanitaire à COVID-19 à travers un système de surveillance et de contrôle de l’épidémie qui reposera sur la surveillance à base communautaire. Les systèmes de surveillance permettent de détecter des flambées de maladie dès que possible, et de prendre rapidement des mesures de prévention et de lutte qui en réduisent la propagation. Traditionnellement, ce sont les professionnels de la santé qui assurent en permanence la surveillance sanitaire, en se servant d’indicateurs pour décrire une maladie donnée et garantir que des informations identiques sont recueillies à différents endroits. Cela permet de détecter les changements des schémas en matière de santé et de suivre les tendances au sein d’une population. Cependant, concernant les maladies transmissibles à fort potentiel de propagation comme la COVID-19, il est à cette étape souvent trop tard pour empêcher les communautés de contracter la maladie ou d’en mourir. Les communautés étant toujours les premières à savoir si quelque chose ne va pas, le recourt à la surveillance à base communautaire est fortement conseillé dans ce cas. Cette dernière permet à des volontaires formés de communiquer des informations fiables sur la maladie aux communautés mais aussi de recueillir et de signaler les événements inhabituels qui se produisent dans la communauté aux autorités locales pour une intervention rapide. Ainsi, ce système aurait fait de Sangaredi la première commune du pays à remplir ses compétences en matière de gestion de la santé de ses populations et une fois l’épidémie de COVID-19 terminée ce dispositif pourrait être maintenu pour surveiller et gérer d’autres situations sanitaires comme le paludisme, les femmes enceintes et leurs futurs bébés, la malnutrition infantile etc…
Interview réalisée par Kadja Diallo depuis Sangaredi pour Convergencegn.com