A l’occasion du 21 Juin, journée internationale de la fête de la musique, l’Union des Journalistes et Animateurs culturels de Guinée a tenu à rendre hommage à Mory Kanté, récemment disparu. Ils m’ont demandé d’apporter ma contribution. La voici :
Adieu, Monsieur Yéké-Yéké !
Si comme tout le monde, j’ai été envoûté par le rythme entraînant et les sonorités toutes nouvelles de son morceau-fétiche Yéké- Yéké, j’ai très peu connu Mory Kanté. Je ne l’ai rencontré qu’une seule et unique fois dans un je ne sais plus quel colloque tenu au Centre Klébert de Paris à la fin des années 80.
Il venait juste d’apparaître aux yeux du monde avec sa belle kora et sa légendaire tenue blanche dans laquelle je l’avais vu à Klébert comme s’il venait juste de quitter la scène. Quelqu’un nous avait présentés. « Bonjour mon frère », m’avait-il dit en me serrant chaleureusement la main. C’est tout. Mais cette très brève image pleine de chaleur et de communion me reviendra à chaque fois que j’écouterai sa musique, à chaque fois que j’entendrai prononcer son nom.
Et sa musique, on l’entendait partout d’un bout à l’autre de la planète.
Quand pour la première fois, en 1992, je foulai le sol du Brésil, on n’entendait que deux morceaux dans les rues de ce pays : Madalena de Gilberto Gil et Yéké- yéké de Mory Kanté. Partout : à Rio de Janeiro comme à Sao-Paulo, à Salvador de Bahia comme à San-Luis de Maranhao ! Incroyable ! Concurrencer une méga-star comme Gilberto Gil sur ses propres terres relevait à mes yeux d’un véritable tour de force. Pour la deuxième fois, après le fameux Soul Makossa de Manu Dibango, un musicien africain arrivait à conquérir le monde.
Mory Kanté a propulsé notre musique guinéenne à un niveau jamais atteint. Ne serait-ce que pour cela, il mérite non seulement cette émouvante cérémonie mais aussi l’hommage de la nation tout entière.
Hélas, Mory Kanté n’est pas la seule idole que la gueule hideuse de la mort nous a arrachées. Le départ de notre griot électrique ne fait qu’allonger une liste déjà interminable de revers et de deuils.
On se souvient de Facély Kanté, de Kouyaté Sory Kandia, de Sory Bobo, de Demba Camara, de Bonnéré, de Fodé Conté dit René Joly (Pour le Rio Pongo !), de Sékouba Fatako, de la diva Kadé Diawara. Hélas, on ne peut pas tous les citer ici même si le pays tout entier sait qu’il leur est tous redevable et de la construction de son identité et de son rayonnement international. On ne peut cependant pas clore cette liste lugubre sans nommer le tout dernier de nos illustres disparus : Petit Condé qui nous a quittés il n’y a même pas une semaine. Petit Condé, je ne l’ai pas connu personnellement, mais Petit Yéro et Yéli Sayon m’ont largement décrit ses qualités artistiques et humaines.
Mory Kanté et tous ces grands talents que je viens d’évoquer resteront à jamais dans notre mémoire et dans nos cœurs ! Que Dieu les reçoive en son paradis !
Je me garderai bien dans une circonstance aussi triste de soulever des polémiques (moi, qui les aime tant !). Que l’on me permette cependant d’attirer l’attention des autorités sur la situation dramatique que vivent la plupart de nos artistes. Il est temps grand temps que le gouvernement place la culture au centre et de ses préoccupations et de son action.
Si le sang irrigue le corps d’un individu, c’est la culture qui irrigue celui d’un peuple.
Tierno Monénembo, in Le Lynx