Tribune : L’avant-projet de la nouvelle constitution guinéenne est aussi lacunaire et superficiel que les précédentes constitutions ( Par Cheick Oumar Traoré)

Trois ans après la suspension et l’abrogation de la constitution tripatouillée par le précédent régime, nous voilà enfin vers le bout du tunnel de cette impasse constitutionnelle.
L’avant-projet de la nouvelle constitution présenté par le CNT projette une lueur d’espoir quant au retour tant souhaité à l’ordre constitutionnel en République de Guinée.

C’est un ouf de soulagement, car la constitution reste et demeure indispensable dans la vie d’une nation, elle constitue le suprême des textes dans la hiérarchie des normes, et la source principale de la quasi-totalité des lois de la république.

Je dis qu’une constitution n’est pas une loi comme les autres : c’est la « loi des lois »

Pourtant l’avant-projet de la nouvelle constitution guinéenne est aussi lacunaire et superficiel que les précédentes constitutions.

UNE CONSTITUTION QUI NIE LES VALEURS PATRIOTIQUES, INDISPENSABLE À L’ÉMERGENCE

L’avant-projet de la nouvelle constitution nie le rôle crucial des valeurs en lien avec le patriotisme dans le développement de notre nation qui, pourtant constitue les fondements de l’émergence nationale.

En Guinée, l’éducation patriotique et la protection des forces sociales montantes contre toutes influences négatives en particulier doivent être consacrées par la constitution.

En approfondissant les analyses, il n’échappera à aucun esprit éclairé de constater que l’une des causes fondamentales de l’effondrement de la Guinée reste la méconnaissance et l’effritement de la notion de patrie.
Le patriotisme est fondé sur le principe selon lequel le pays défend des valeurs telles que l’amour partagé de la terre de ses ancêtres, c’est à dire la terre de Guinée, cette terre fertile et belle qu’il constitue.
Les valeurs de ce sentiment d’appartenance ne sont pas à confondre avec les valeurs républicaines, issues d’une forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat électif. Sans une certaine dose de patriotisme, les valeurs républicaines ne peuvent que desservir la nation.

A l’ère de la mondialisation, du développement de la science, de la technologie, des moyens de transport, de la communication, etc., la promotion du patriotisme et la protection de la jeunesse contre les influences extérieures deviennent des principes à valeur constitutionnelle, et le CNT devrait en faire son mot d’ordre : faire de nos 14 millions de guinéens, 14 millions de patriotes en incluant dans la nouvelle constitution une loi visant à consolider l’éducation patriotique.
Autant les peuples d’autres continents sont imperméables aux idées et forces extérieures, autant la jeunesse africaine de Guinée semble absorber tout ce qu’on les présente au point de détruire ce qui est de plus précieux dans l’existence d’une jeunesse  : l’identité, la patrie, la culture.
Ce travail de promotion et de protection ne peut servir que les intérêts de la Guinée de demain.

UNE CONSTITUTION QUI NIE LA DIVERSITÉ ET LA DOUBLE CITOYENNETÉ DU GUINÉEN

Nous devons nous efforcer de voir cette autres vérités que certains guinéens refusent délibérément de voir par pur conformisme ou par paraisse mentale. Vérité pertinente selon laquelle la Guinée existe parce que les régions ont préalablement existé et nous sommes guinéens parce qu’issus de l’une de ces régions.
Cette double citoyenneté engendrée par la diversité fonctionnelle ne doit pas être perdue de vue. Même lorsque l’avant-projet de la nouvelle constitution proclame que la République de Guinée est une et indivisible, elle demeure riche de diversités.

Le constat de cette diversité fonctionnelle en Guinée ne souffre d’aucune contestation.

Et c’est justement cette double souveraineté qui implique que le CNT à travers la nouvelle constitution redéfinisse une fois pour toutes, les compétences qui doivent être exclusivement attribuées à l’Etat central et donc des institutions républicaines. C’est à dire, que ces institutions républicaines arrêtent de légiférer dans des domaines insignifiants au profit d’une autonomie qui éventerait la législation et le fonctionnement de nos régions administratives.

L’Etat de Guinée n’aurait pas vocation à devenir un Léviathan bureaucratique, il ne devrait avoir pour but que d’assurer l’intégrité territoriale, la défense nationale, la monnaie et le bien être des citoyens guinéens, cela passe par l’autonomie et l’union sacrée des régions, et l’assurance de la plus grande liberté possible.

UN BICAMÉRISME QUI RISQUE DE DÉSENCHANTER

Selon Léon Duguit, un juriste français du XXème siècle : « Une société, une nation se compose non seulement d’individus, mais encore de groupes d’individus qui constituent autant d’éléments sociaux distincts des individus. Si l’on veut que le parlement soit une exacte représentation du pays, il faut qu’il soit composé de deux chambres, dont l’une représentera plus particulièrement les individus (l’assemblée nationale) et dont l’autre (le sénat) représentera plus particulièrement les groupes ».

En tenant compte du caractère complexe de la société guinéenne, le bicamérisme est le système de représentation populaire le mieux adapté à la Guinée, car c’est la complexité d’une société politique qui veut qu’un État recoure à des institutions elles-mêmes complexes et, en particulier, à une seconde chambre.
C’est une évolution importante car la Guinée souffrait depuis longtemps d’une incomplétude fondamentale de son parlement.

Le mérite du bicamérisme bien qu’il ne soit pas juridiquement indispensable, c’est qu’il offre une palette de solutions plus large que le monocamérisme pour parvenir à un équilibre satisfaisant entre les trois exigences de la représentation populaire, à savoir : l’efficacité, l’acceptabilité et l’équilibre. Autrement dit, ces trois exigences fondamentales sont plus faciles à concilier quand il existe deux assemblées plutôt qu’une seule.

Donc, au lieu que le futur Sénat de la République de Guinée ne soit considéré comme une simple représentation socioprofessionnelle à la solde de l’exécutif en se confondant à l’assemblée nationale, et si nous voulons qu’il joue pleinement son rôle d’encadrement, de contrôle et de contre-pouvoir, il devrait :
1. Être la reconnaissance juridique de la pluralité, c’est à dire permettre une représentation plus diversifiée des composantes de la nation auxquelles l’assemblée nationale ne peut offrir une représentation satisfaisante;
2. Être le lieu institutionnel où les intérêts et les attentes spécifiques des entités territoriales locales ont vocation à être exprimées et défendues de manière privilégiée;
3. Être entièrement élus par les élus locaux et révocables à tout moment par ces électeurs;
4. Être chargé de veiller au respect de l’unité nationale en évitant notamment tout déséquilibre ethnique;
5. Assurer une mission de médiation des conflits politiques entre les institutions;

Le souci de mieux représenter la diversité se heurte fréquemment à des inquiétudes liées au risque de division ethnique et de la volonté nationale; de la lenteur du processus législatif, et d’avoir un sénat au détriment de l’efficience des pouvoirs publics.

L’idée selon laquelle la représentation de la diversité romprait l’union entre guinéens est un faux risque. La volonté des guinéens serait en effet exprimée par le parlement et ce parlement est un, qu’il soit composé d’une ou de plusieurs chambres. La pluralité des chambres devraient affecter seulement le processus de délibération, autrement dit le cheminement vers la décision, car elle impose un dialogue entre les deux chambres du parlement et qui vient redoubler le dialogue entre les différentes forces politiques. Mais une fois qu’une synthèse des points de vue est construite par la délibération, la décision exprimée par le parlement est une et souveraine.

Les arguments dénonçant la lourdeur des institutions bicamérales paraissent à mon avis bien peu convaincants. Tout d’abord, on pourrait juste faire remarquer que ce dont souffrent les lois, ce n’est pas d’une élaboration trop lente mais au contraire trop rapide. On a toujours légiféré trop vite, de sorte que la démocratie soit amputée du temps nécessaire pour élaborer les bonnes lois. Si le bicamérisme ralentit le processus, ce ne pourrait donc être qu’au profit de la qualité des lois adoptées. Mieux vaut prendre le temps d’écrire des bonnes lois que d’en perdre à les retoucher sans cesse.

UNE CONSTITUTION QUI TRAÎNE LA CASSEROLE DE L’HYPER-PRÉSIDENTIALISME

Le régime prétendument présidentiel proposé par l’avant-projet de la nouvelle constitution est en réalité hyper-présidentialisme où le chef de l’État est présent sur tous les fronts. Il a une supériorité sur le Premier ministre, sur le parlement et même possiblement sur le judiciaire. In fine, son pouvoir est renforcé au détriment des autres pouvoirs.
En complicité avec les institutions législatives et judiciaires qui seraient juges et parties, la fonction présidentielle risque d’écraser tout sur son passage. Il faut donc dénoncer une centralisation à outrance du pouvoir populaire.

D’abord, un candidat à une quelconque élection de n’importe quelque niveau de représentativité (locale et nationale), ne devrait être binational. Et doit avoir résidé en Guinée depuis au moins 15 ans. Sans quoi, le pays n’est pas exempt d’infiltration des mercenaires déguisés en politiciens à la solde de l’impérialisme ou du terrorisme.

Aussi, obliger un candidat ou un élu à faire recours au peuple est bien, mais ce n’est pas donné le pouvoir au peuple. Donner le pouvoir au peuple, c’est de lui permettre à tout moment et en tout lieu d’exercer ce pouvoir en révoquant un élu ou en proposant ou même en abrogeant directement une loi. C’est vrai que la possibilité est donnée aux citoyens de s’opposer par voie de pétition à une quelconque modification de la constitution, cependant on tromperait les guinéens si on leur faisait savoir que leur liberté et leur souveraineté seront garanties de cette façon par la nouvelle constitution. Car elles ne le seront que pendant les élections locales et parlementaires, et lors des propositions de lois : ensuite, elles seront reléguées au second plan, et ne seront plus rien.
Partant du fait que les choix politiques sont essentiellement des choix moraux pour lesquels chaque guinéen serait compétent, l’initiative populaire devrait faire partie des institutions constitutionnelles. Cela donnerait la possibilité aux citoyens conformément à un seuil de signature prévue par la loi de déclencher ou d’obliger l’exécutif d’organiser le référendum.

Le système politique guinéen devrait réserver d’importantes fonctions et de prérogatives aux régions administratives et aux communes afin qu’elles disposent de moyens de faire entendre leur voix, notamment par l’usage du référendum et de l’initiative populaire qui, s’ils sont conformes aux critères requis, entraînent une votation populaire.

UNE CONSTITUTION QUI VEUT DURER 30 ANS SOUS FOND DE MENACES

Une constitution qui incarne les valeurs patriotiques et populaires n’a pas besoin de se conclure par des menaces de représailles. J’ai trouvé la dernière partie de l’avant-projet très ludique, lorsqu’elle menace à peine voilée les auteurs de toutes actions ayant pour objet de porter atteinte à l’esprit de certains de ses principes … En effet, je rappelle ici qu’une constitution est un organisme créé par les Hommes et qui est constamment en vie, contrairement à l’idée de l’avant-projet qui veut imposer une constitution sur les trois prochaines générations.

Exiger un État unitaire jusqu’à menacer de haute trahison toutes idées réformatrices de cette forme d’Etat et instaurer le bicamérisme est une contradiction, car dans un État unitaire, la souveraineté réside de façon une et indivisible dans l’universalité nationale des citoyens. Et dans dans de tels environnements, le bicamérisme devient caduque.

Et si âpre tout on admet que cette notion de complexité n’est pas applicable à la Guinée, et qu’il y’a une seule nation, la question qui se pose est la suivante : pourquoi devrait-il y avoir deux chambres pour la représenter ? En quoi multiplier les modalités de représentation de la nation est-il nécessaire ou utile ? Une seule assemblée n’est-elle pas suffisante ?

Courage et confiance en l’avenir socio-politique de la Guinée

Cheick Oumar Traoré, Président de l’organe provisoire de direction de l’Upag Les patriotes/ reotracheick@gmail.com

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