Avant-projet nouvelle Constitution: qui trompe-t-on ? (Déclaration UFD)

DERNIERE MINUTE : Nous avons eu en main le 30 juillet 2024, un document de 28 page intitulé : « Nouvelle Constitution ». Il est dit à la première page qu’il s’agit de : « Présentation officielle de l’Avant-Projet de la Nouvelle Constitution ». Nous avons donc travaillé sur ce document et avions fini de rédiger le brouillon de la présente déclaration. Et voilà que le 11 août 2024, nous recevons un autre document intitulé : « Avant-Projet de Constitution de la République de Guinée ». Un rapide coup d’œil permet de constater que les deux documents ne sont pas complètement identiques, en dehors même du fait que le premier n’avait pas d’articles comme le second. Nous sommes donc en présence de deux versions de constitution ! Et nous ne savons pas lequel des deux est authentique. Le premier document est un mélange de texte de loi et d’exposé des motifs… Cette situation nous a immédiatement rappelé la Constitution du troisième mandat de 2020 qui a connu pas moins de quatre versions !  

Personne ne sait où va s’arrêter cette valse de textes fondamentaux pour l’avenir de notre pays.  Nous maintenons donc notre analyse initiale de l’Avant-Projet en ajoutant ce qui a changé dans la version 2, en attendant plus…

I. INTRODUCTION

Après plus de 3 ans d’existence, des interrogations légitimes et des relances répétées par les acteurs politiques, civils et même de la part de pays amis, le CNT du CNRD a fini par accoucher d’un « Avant-Projet de la Nouvelle Constitution ».

Dans notre pays, nous sommes déjà arrivés à un stade où la simple liberté d’expression et même d’opinion, se paie très cher. Actuellement, tous les partis politiques sont tenus en laisse par le CNRD, avec l’épée de Damoclès de l’interdiction au-dessus d’eux. Malgré tout et quoi qu’il nous en coûtera, nous allons donner notre opinion sur le texte qui est amené à servir de future Loi Fondamentale de notre pays. Nous le devons au peuple de Guinée.

Après une analyse objective, basée sur les faits actuels et passés de l’histoire de la Guinée, nous dirons la vérité aux gouvernants et au peuple. Un philosophe avait a dit : « Seule la vérité est révolutionnaire » car porteuse de justice, de paix et de progrès. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour le faire, qu’à leur prise du pouvoir et sans applaudir comme d’autres, nous leur avons fait part de ce que nous pensions être bon à ce stade pour la Guinée et son peuple. Nous avons toujours félicité et encouragé toutes les initiatives qui ont été prises par le CNRD en matière de promotion d’une justice indépendante et équitable, d’une éducation de qualité pour tous, de l’amélioration de la pension des retraités. On sait aujourd’hui que ce n’était que des initiatives de circonstance, le temps de bien s’installer, pour confisquer ensuite le pouvoir par la force, avec un habillage légal.

Qu’est-ce qu’une constitution ?

En principe, la constitution est un cadre légal, moral et non partisan, devant permettre à un Etat de résoudre positivement, les problèmes et les anomalies graves qui ont constitué un obstacle à son équilibre, à son développement harmonieux et à l’épanouissement de ses populations. Elle doit aider à sortir de la décadence, de la ruine physique et morale, de la misère, des injustices et de l’instabilité chronique.

C’est une loi suprême d’inspiration politique qui prime sur toute autre et qui s’impose à tous les individus et à toutes les institutions de la République. Guide spirituel mobilisateur, solidement articulé dans un texte bien rédigé, clair et précis au plan juridique, la Constitution est amenée à servir de référence infaillible, pour résoudre pacifiquement les problèmes auxquels la société guinéenne est confrontée dans sa marche en avant.

La Guinée et ses multiples constitutions

Malheureusement et contrairement à ces principes, depuis 1958, la tradition bien établie est que chaque pouvoir qui s’installe par les moyens de son choix, fabrique sur mesure sa propre constitution, pour rester inamovible. Dans l’histoire de la Guinée, tous les crimes, les actes barbares, inhumains, les injustices sociales, la confiscation des libertés individuelles et collectives, la braderie des richesses non renouvelables du sol et du sous-sol, ont été commis, sous le couvert de généreuses constitutions.

Dans maints pays africains, les textes constitutionnels ne sont que des paravents de circonstance pour les pouvoirs qui s’installent. Même la prestation de serment n’est qu’un acte folklorique qui n’engage à rien. Les textes sont très souvent ouvertement violés, piétinés, ignorés, détournés dans la lettre et dans l’esprit. Lorsqu’ils n’en peuvent plus de continuer à violer les textes qui les dérangent, ils fabriquent de nouvelles constitution pour se cramponner au pouvoir et agir à leur guise, sans contrôle. Ils considèrent leur pouvoir comme étant de droit divin et à vie. Voilà le vrai drame des micro-Etats issus de la balkanisation de l’Afrique, après la domination coloniale directe et les indépendances octroyées.

 

 

En Guinée, depuis 1958, la seule Constitution qui sort du lot, est celle de la Transition de 2010. En quelques mois seulement, le CNT de l’époque, représentatif de toute la Communauté guinéenne, non assujetti à un pouvoir exécutif quelconque, avait adopté un texte novateur, réformateur, progressiste et équilibré. Bien des insuffisances et les manquements constatés dans la Loi Fondamentale de 1990 y avaient été corrigés.  Même à l’échelle de l’Afrique, cette constitution était vue comme une référence en matière de libertés, de progrès et d’équilibre des pouvoirs, dans l’unité et la fraternité. Le texte était tellement consensuel qu’à l’époque, personne n’avait eu l’idée de le faire adopter par un référendum. Avec cette troisième transition de l’histoire de la Guinée, nous avions été nombreux à recommander qu’au lieu de se lancer dans la rédaction d’une nouvelle constitution, il fallait simplement amender celle de 2010. Mais comme nous l’avions soupçonné et dénoncé, le CNRD avait son agenda caché qu’il est toujours entrain de dérouler et ne pouvait donc pas s’appuyer sur un texte aussi démocratique et positif.

II. GENERALITES SUR L’AVANT-PROJET DE CONSTITUTION

Une constitution parrainée par un pouvoir quelconque est d’abord une promesse de ses initiateurs et inspirateurs. Et comme nous l’avons déjà signalé, en Afrique généralement, les textes sont faits pour être bafoués par les tenants du pouvoir. En toute logique, pour prévoir le comportement futur du pouvoir actuel face à sa constitution, nous devons nous appuyer sur des faits avérés, incontestables relatifs à sa gouvernance depuis qu’il est aux affaires le 5 septembre 2021. Il faudrait voir quel sort il a réservé à son texte fondateur, la Charte de la Transition. A cet égard il est intéressant de noter l’étrange similitude dans la forme et le style, entre les deux textes (la Charte de la Transition et l’Avant-Projet de Constitution). On dirait que les deux documents ont été rédigés par les mêmes personnes…

Ceci dit, il est important de souligner que nous n’avons eu en main qu’un avant-projet. Il ne s’agit pas du texte définitif qui sera soumis à un référendum. Ses auteurs ont donc toutes les possibilités de rectifier et d’amender le texte, pour tenir compte des critiques objectives et des suggestions qui sont faites. Les modifications qui seront éventuellement apportées au texte original donneront la mesure de leur bonne foi et leur volonté, à prendre en compte des opinions bien fondées mais différentes des leurs. Mais il est encore plus important de souligner que les beaux textes ne servent absolument à rien, s’ils doivent être ignorés et piétinés comme par le passé.

III. LE SORT RESERVE PAR LA JUNTE A SA CHARTE DE LA TRANSITION

  1. Les leçons tirées du Préambule de l’Avant-Projet

Au Préambule (page 4), nous avons un rappel très utile sous forme de dénonciation des multiples violations des droits humains observés dans les précédents pouvoirs.  Suivent de généreuses proclamations sur l’attachement du CNRD aux droits humains et démocratiques, se référant même à la Charte des Nations-Unies, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, à la Charte Africaine de la démocratie, de la bonne gouvernance et des élections du 30 janvier 2007 ainsi que le Protocole A/SP1/12/01 du 20 décembre 2000 de la CEDEAO sur la bonne gouvernance et les élections.

Les dispositions ci-après relatives aux droits humains ont été reprises dans l’Avant-Projet de Constitution Version 1 :

  • Article 8 page 6 de la Charte de Transition, il est dit : « Aucune situation d’urgence ne doit justifier la violation des droits humains ».
  • Article 10 de la même page 6 poursuit sur le même registre des droits humains : « La personne humaine est sacrée. Toute personne a droit au respect de son intégrité physique et morale, de son identité et à la protection de son intégrité et de sa vie privée… ».
  • Article 11, page 6, nous lisons : « Nul ne peut faire l’objet de tortures, de peines ou de traitements cruels, dégradants ou inhumains ».
  • Article 12, page 6 précise que la loi interdit les arrestations et détentions arbitraires.
  • , Etc.

Dans son chapitre consacré aux droits civils et politiques, l’Avant-Projet de Constitution aux Droits civils et politiques (page 6) renchérit ainsi :

  • L’inviolabilité et la sacralité de l’être humain et de sa dignité
  • Le droit de cortège et de manifestation pacifique
  • L’inviolabilité de l’intimité de la vie privée et du domicile
  • La garantie de la liberté d’expression, de la liberté de presse et de la communication
  • , etc.

On sait ce qu’il en a été de ces beaux textes, de ces beaux principes et ces déclarations de bonnes intentions, depuis que le CNRD a pris le pouvoir. Les tueries de personnes innocentes à l’occasion des manifestations, les arrestations arbitraires, l’usage systématique de la torture, des traitements inhumains et dégradants, les enlèvements, disparitions et séquestrations de citoyens, en dehors de toute procédure judiciaire régulière, la mort en détention de personnes victimes de « crise cardiaque », les violations de domicile, les détentions arbitraires, sans jugement et on en passe, en disent long sur le respect des textes par la junte au pouvoir. Tous les citoyens, y compris les membres des forces de sécurité pourtant généralement complices de tels faits, n’y échappent pas eux-mêmes. On n’est en plein dans les pratiques hélas bien connues dans notre pauvre pays depuis 1958, avec juste quelques périodes d’accalmie. On se souvient encore des membres du fameux « Comité Révolutionnaire » des assassins et tortionnaires du Camp Boiro, qui pouvaient finir par se retrouver dans la même cellule et la même fosse commune que leurs pauvres victimes. Après ces violations flagrantes et persistante des droits humains, nous avons assisté à la suppression pure et simple de la liberté d’opinion et d’expression. Les réseaux sociaux qui dérangeaient le pouvoir ont été longtemps bloqués. L’internet, « qui n’est pas un droit » selon eux, a même été bloqué quelquefois. Nous avons assisté ensuite au brouillage de fréquence des radios-télévisions. Après cela, c’était le blocage de sites médias internet. Et pour finir, la fermeture définitive des médias qui dérangeaient le pouvoir d’une manière ou d’une autre. Et tous ces actes liberticides, commis au nom des « impératifs de sécurité ». Des milliers d’hommes et de femmes – le plus souvent des jeunes – des médias vivant déjà presque dans la précarité, se sont retrouvés à la rue, exposés eux et leur famille aux pires souffrances, au manque de logement et même à la faim, aux maladies sans soins et aux enfants non scolarisés.

Dernière minute – Constitution – Version 2 – Nous lisons : 

Article 16.- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. L’intimité de la vie privée et le domicile sont inviolables.

Toute violation de domicile ou toute atteinte à l’intimité de la vie privée, quels qu’en soient les raisons et les moyens utilisés, est punie conformément à la loi.

Toute perquisition, toute visite domiciliaire ou toute autre atteinte à l’inviolabilité du domicile ne peut être prononcée que par le juge ou par toute autre autorité que la loi désigne et dans les formes qu’elle prescrit.

Les interventions ayant pour objet de prévenir un péril grave et imminent, de parer à un danger commun ou de protéger la vie des personnes ne sont pas soumises aux exigences de l’alinéa précédent, sous réserve des dispositions de l’article 8.

La nouvelle version 2, introduit ainsi le concept de « prévention d’un péril grave et imminent », pour justifier la violation des droits humains. Toutes les prétendues garanties de respect des droits humains données par le même texte sont donc annihilées d’un trait de plume par cet alinéa assassin de l’Article 16.

Cette disposition réduit à néant celle de l’Article 32 qui dit :

Les droits et libertés consacrés par les articles 7 à 31 sont inviolables, inaliénables et imprescriptibles dans les conditions définies par la loi.

Aucune situation d’urgence ou d’exception ne peut justifier la violation des droits humains.

Voilà qui est clair : la nouvelle Constitution contient tout et son contraire. La porte est ainsi largement ouverte à la continuation sous une forme « légale » des graves violations des droits humains que la junte est entrain de commettre.

A SUIVRE…

Fait à Conakry le 13 août 2024

Le Bureau Exécutif de l’UFD

Transmis par la Cellule de Communication de l’UFD

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