Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a tenté de structurer son développement à travers diverses stratégies économiques. Des plans triennaux, quinquennaux et septennaux sous Sékou Touré, aux Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) sous Lansana Conté, jusqu’au Plan National de Développement Économique et Social (PNDES 2016-2020) et au Programme de Référence Intérimaire (PRI 2022-2025), chaque période a vu naître des ambitions de croissance souvent contrariées par des réalités politiques et économiques.
Aujourd’hui, avec le prochain Programme Simandou 2040, la Guinée mise sur ses ressources minières pour enclencher un changement de paradigme. Un pari risqué, mais qui pourrait, si bien mené, marquer la fin d’une longue série d’échecs dans la mise en œuvre des politiques de développement.
Une planification d’État centralisée sous Sékou Touré (1958-1984)
À l’indépendance, la Guinée a adopté une économie dirigée, inspirée des modèles soviétique et maoïste. L’État, sous Ahmed Sékou Touré, s’est lancé dans une planification rigoureuse via plusieurs plans successifs :
- Plan Triennal (1960-1963) : Première tentative de structuration économique visant l’autosuffisance alimentaire et l’industrialisation. L’initiative a souffert d’un manque de coordination et d’une planification tardive.
- Plan Quinquennal (1964-1968) : Accent mis sur la collectivisation agricole et l’expansion des infrastructures industrielles. Des progrès ont été observés dans la production de riz (+5 % par an entre 1964 et 1966 selon l’Institut National de la Statistique), mais l’absence d’investissements étrangers et la centralisation excessive ont freiné les résultats.
- Plan Septennal (1973-1979) : Tentative de réorganisation de la production industrielle et d’accélération des infrastructures (routes, chemins de fer). Cependant, la rupture avec les puissances occidentales et les difficultés de financement ont conduit à un essoufflement du modèle.
Si ces plans ont marqué une volonté d’émancipation économique, ils ont aussi illustré les limites d’une économie ultra-centralisée, sans ouverture aux capitaux étrangers.
L’ère des ajustements structurels et de la libéralisation économique (1984-2008)
Avec la prise de pouvoir de Lansana Conté en 1984, la Guinée amorce un tournant vers l’économie de marché. Poussée par les institutions de Bretton Woods, elle applique les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS), avec pour objectifs :
- Réduction de l’intervention de l’État et privatisations massives ;
- Ouverture aux capitaux étrangers pour relancer l’investissement
- Stabilisation macroéconomique grâce à des réformes budgétaires et monétaires
Si ces réformes ont permis un retour de la croissance, elles ont aussi contribué à une hausse des inégalités, un affaiblissement des services sociaux et une précarisation de la population.
Pour répondre aux critiques, le gouvernement met en place la Stratégie de Réduction de la Pauvreté (SRP) au début des années 2000. L’objectif était de ramener le taux de pauvreté de 55 % à 40 % en dix ans grâce à des programmes ciblés dans l’éducation et la santé.
Le PNDES (2016-2020) : un plan ambitieux aux résultats contrastés
L’élection d’Alpha Condé en 2010 a été marquée par une volonté de relancer les grands projets d’infrastructures et de diversifier l’économie, avec la mise en place du PNDES (2016-2020).
- Objectif de mobiliser 21,8 milliards USD pour financer des infrastructures clés
- Investissements ciblés sur les transports, l’énergie et les mines
- Modernisation de la gouvernance économique pour attirer les investisseurs étrangers
Mais à mi-parcours, seuls 7,3 milliards USD avaient été sécurisés, soit 33 % du montant prévu. Les principaux facteurs d’échec ont été :
- Des projets mal structurés, rendant difficile la mobilisation des financements internationaux
- Une instabilité politique croissante, limitant la confiance des bailleurs de fonds
- Une gouvernance opaque et une corruption persistante, freinant l’exécution des réformes
Ces limites ont conduit à une exécution partielle du plan, sans réelle transformation structurelle.
Le PRI (2022-2025) : une transition sous tension
Après le coup d’État de septembre 2021, le CNRD instaure le Programme de Référence Intérimaire (PRI) pour stabiliser l’économie et maintenir les services publics.
- Renforcement de la gouvernance et de la transparence
- Assainissement des finances publiques
- Maintien des engagements internationaux pour éviter l’isolement diplomatique
Cependant, seuls 62 projets sur les 268 prévus ont été réalisés (23 %), illustrant les difficultés d’exécution.
Le Programme Simandou 2040 : une opportunité historique pour la Guinée
Le prochain Programme Simandou 2040 représente une étape décisive dans l’histoire économique de la Guinée. Avec le plus grand gisement de fer inexploité au monde, le pays dispose d’un atout stratégique pour accélérer son industrialisation et devenir un acteur majeur sur le marché mondial des matières premières.
Contrairement aux plans précédents qui ont souvent été freinés par des obstacles financiers et institutionnels, Simandou 2040 reposera sur une approche plus structurée, intégrant des mécanismes de financement, de gouvernance et d’industrialisation à long terme.
- Un réseau d’infrastructures stratégiques : Le projet comprend 650 km de chemin de fer, un port en eau profonde et des usines de transformation locale, réduisant ainsi la dépendance aux exportations brutes.
- Un levier pour la diversification économique : Au-delà du fer, Simandou pourrait stimuler le développement d’autres secteurs, notamment l’énergie et les services logistiques liés aux industries extractives.
- Un moteur de création d’emplois et de renforcement des compétences : des milliers d’emplois directs et indirects sont attendus, avec un programme de formation pour favoriser l’émergence d’une main-d’œuvre qualifiée.
- Un modèle inspiré des meilleures pratiques : La mise en place d’un Fonds Souverain inspiré du modèle norvégien permettra de réinvestir les revenus miniers dans des infrastructures, l’éducation et la santé, garantissant ainsi une croissance inclusive et durable.
Bien que des défis existent, notamment en matière de gouvernance et d’équilibre des relations avec les investisseurs étrangers, la Guinée dispose aujourd’hui de toutes les conditions nécessaires pour transformer cette richesse en un véritable moteur de développement. Avec une volonté politique forte, une planification rigoureuse et une exécution efficace, Simandou 2040 pourrait marquer un tournant décisif vers une Guinée prospère et autosuffisante économiquement.
Le Programme Simandou 2040 fait l’objet de critiques, notamment sur la communication jugée excessive du gouvernement et sur son absence de validation parlementaire. Cependant, ces arguments ne remettent pas en cause la nature prospective et stratégique du programme.
D’abord, la communication gouvernementale autour du programme Simandou 2040 a permis de libérer le débat public sur l’avenir du développement de la Guinée. Plutôt que d’être un programme élaboré dans l’opacité, Simandou 2040 va bénéficier d’un processus de consultation ouvert, impliquant divers acteurs économiques, politiques et sociaux. Cette dynamique favorise l’adhésion des parties prenantes, renforce la transparence et améliore l’appropriation nationale du projet.
Ensuite, Simandou 2040 remplit toutes les caractéristiques d’une vision prospective pour la Guinée sur les 15 prochaines années. Un programme est qualifié de prospectif lorsqu’il :
- Se projette sur le long terme, en intégrant des scénarios de développement sur plusieurs décennies.
- Est multisectoriel, touchant plusieurs domaines stratégiques (mines, infrastructures, énergie, industrie, emploi).
- S’appuie sur une planification stratégique, en identifiant des leviers de croissance, des défis et des opportunités pour transformer durablement l’économie nationale.
Enfin, il est important de préciser qu’aucun pays au monde n’exige qu’un programme de développement soit validé par le Parlement, car il ne s’agit pas d’une loi, mais d’une orientation stratégique. La validation parlementaire intervient plutôt au moment de l’adoption des budgets et des réformes législatives nécessaires à la mise en œuvre du programme. Le programme Simandou 2040, comme tout plan stratégique, relève de la compétence de l’Exécutif et n’a pas à être soumis au vote du parlement.
Simandou 2040 : une opportunité à saisir, mais à quel prix ?
Le passé de la Guinée est jalonné d’ambitions économiques non réalisées. Les plans se sont succédé, sans que les infrastructures et la transformation industrielle ne suivent réellement. Pour la réussite du prochain programme Simandou 2040
- Une structuration rigoureuse des projets est essentielle pour sécuriser les financements ;
- Un cadre strict de suivi-évaluation doit être mis en place pour éviter les erreurs du passé ;
- Une gouvernance transparente est nécessaire pour garantir un partage équitable des revenus miniers
Si ces conditions sont réunies, le programme Simandou 2040 pourrait être le catalyseur d’un véritable décollage économique. Mais dans le cas contraire, il risque d’être un énième mirage dans l’histoire du développement guinéen.
Par Amadou Tidiane Barry
Consultant en Evaluation de politique publique
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