En visite dans le pays pour analyser la situation des comptes publics, le représentant du FMI, Edward Gemayel, a confirmé qu' »une partie de la dette du pays a été cachée » par l’administration précédente, pour un montant d’environ sept milliards de dollars. Dévoilée en septembre par les nouvelles autorités, cette information avait été vivement démentie par l’ancien président Macky Sall.
Au Sénégal, le Fonds Monétaire International (FMI) donne raison à la cour des comptes. En visite dans le pays, une délégation du FMI a confirmé, lundi 24 mars, les conclusions du rapport sur les finances publiques publié mi-février, pointant une dissimulation de la dette du pays par les anciennes autorités. Celle-ci s’établirait à près de 100 % du PIB, bien au-delà du chiffre de 74 % avancé par la précédente administration.
« Une partie de la dette a été cachée », a affirmé sur RFI le chef de mission du FMI, Edward Gemayel : « Comme le rapport de la cour des comptes le dit très clairement, il y a eu une décision très consciente de sous-estimer ce stock de la dette pendant les années précédentes. »
Dégradation de la note souveraine et financements sur pause
La visite de la délégation du FMI à Dakar, du 18 au 26 mars, avait pour but de faire la lumière sur les causes de cet important dérapage. Nous souhaitions savoir « comment cette dette s’est accumulée sans être divulguée, et quelles mesures les autorités souhaitent prendre afin qu’une situation similaire ne se reproduise », a expliqué Edward Gemayel.
Une mission aux lourds enjeux, car la situation budgétaire du Sénégal risque de provoquer une crise de confiance parmi les investisseurs et ses partenaires. Depuis les révélations de la cour des comptes, l’agence Moody’s a abaissé la note du pays à B3, avec une perspective négative, suivie par Standard & Poor’s qui l’a fait passer de B+ à B, avec là encore une perspective négative. Si elle était amenée à se poursuivre, cette dégradation de la note souveraine du Sénégal pourrait faire augmenter les taux d’intérêts auxquels emprunte le pays sur les marchés.
De son côté le FMI a gelé, dès les premières alertes en octobre 2024, le programme d’aide de 1,8 milliard de dollars, négocié avec les anciennes autorités sénégalaises.
Conclu le 11 mai 2023 pour une durée de trois ans, ce plan devait permettre au Sénégal de se financer à des taux avantageux en échange de réformes structurelles. Les autorités s’étaient notamment engagées à lutter contre le blanchiment d’argent, à mettre en place des projets d’adaptation au changement climatique et à réduire le déficit budgétaire, établi pour l’année 2023 à 4,9 % du PIB. La cour des comptes a depuis révélé qu’il avait en réalité dépassé les 12 %.
Bataille rangée avec le camp Macky Sall
Au Sénégal, le scandale sur la gestion des comptes a éclaté six mois après l’élection triomphale du nouveau président Bassirou Diomaye Faye, le 24 mars 2024. « Nous avons hérité d’un État en ruine » avait dénoncé le Premier ministre Ousmane Sonko fin septembre, lors d’une conférence de presse. « Le régime de Macky Sall a menti au peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image financière, économique et budgétaire qui n’avait rien à voir avec la réalité. »
Des propos « totalement faux » avait réagi Macky Sall, assurant avoir « laissé un pays où les indicateurs étaient au vert« .
Depuis la publication du rapport de la cour des comptes, plusieurs soutiens de l’ancien président sont rentrés dans la bataille, dénonçant une « machination politique » visant à masquer les échecs du nouveau gouvernement. Une version aujourd’hui mise à mal par les déclarations du FMI.
Nouveau prêt en vue ?
Élu sur un programme de « rupture » avec la précédente administration, Bassirou Diomaye Faye a promis de renforcer l’indépendance économique du pays, estimant que les fruits de la croissance ne profitent pas assez au peuple sénégalais. Pour mener à bien ses réformes, il a néanmoins besoin, comme son prédécesseur, du soutien financier du FMI. En octobre, le pays a été contraint de lever en urgence 300 millions de dollars sur le marché international pour pallier au gel du programme de financement de l’institution.
« L’obtention d’un nouveau prêt est indispensable pour permettre au nouveau pouvoir de respecter certaines des promesses les plus urgentes et en particulier celle de faire baisser le coût de la vie », souligne Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion Afrikajom Center.
À titre d’exemple, le nouveau gouvernement a annoncé en mai dernier une hausse de 20 % des subventions versées pour l’achat d’engrais, de semences et de matériel agricole, afin de soutenir l’appareil productif.
À Dakar, le chef de la délégation du Fonds monétaire s’est voulu rassurant, affirmant espérer pouvoir conclure un nouveau programme « le plus tôt possible » pour « débloquer des financements » au profit du Sénégal.
Il faut dire que le pays bénéficie d’un atout : en plein boom, la croissance a atteint près de 9 % au troisième trimestre 2024, portée notamment par la production de pétrole et de gaz.
Le FMI réclame néanmoins des contreparties, notamment une baisse des subventions énergétiques, qui représentent à elles seules plus de 4 % du PIB. Trop couteuses, elles bénéficient avant tout aux ménages aisés, juge l’institution.
Le FMI compte également sur les réformes structurelles promises par les nouvelles autorités pour rendre le cadre des affaires plus attractif pour les investisseurs locaux et étrangers.
Sa visite terminée, la délégation remettra un rapport au conseil d’administration du FMI, qui devra trancher entre deux options : accorder une dérogation à l’État sénégalais ou lui demander le remboursement des fonds déjà décaissés dans le cadre du prêt, soit environ 770 millions de dollars.
Une fois cette étape passée, le gouvernement sénégalais a fait savoir qu’il souhaite négocier un nouveau programme de prêt, plus adapté à ses priorités.
AVEC AFP