Introduction :
Il y a quelques jours, j’ai posé une question toute simple en ligne – une question qui a suscité un véritable écho à travers l’Afrique. Ce qui devait être un simple échange sur la Guinée s’est rapidement transformé en une réflexion collective à l’échelle du continent. Des voix du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, et bien d’autres pays, ont réagi. Le constat est clair : la crise éducative que traverse la Guinée n’est pas un cas isolé. C’est un problème africain.
Mais la situation guinéenne est particulièrement alarmante. À l’approche du gigantesque projet Simandou, notre pays est à un tournant décisif. Ce projet n’est pas seulement une opportunité économique – c’est un test de notre capacité à transformer nos ressources naturelles en développement durable et inclusif.
La vérité, c’est que nous ne sommes pas prêts. Et le prix de l’inaction serait catastrophique. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit cette tribune : non seulement comme une proposition politique, mais comme un appel à l’action nationale, urgente et ambitieuse.
Tribune : Reformer ou Périr – L’éducation guinéenne face au défi de Simandou
Une crise de main-d’œuvre
Aucun système complet n’est actuellement en place pour former la main-d’œuvre qualifiée nécessaire à un projet de l’ampleur de Simandou. Et au-delà de Simandou, l’économie guinéenne – encore tributaire des importations, de l’insécurité alimentaire et du secteur informel – manque de l’ossature technique, agricole et professionnelle nécessaire à une croissance durable.
Ce moment exige plus que des réformes progressives. Il exige une refonte nationale de notre système éducatif, alignée à la fois sur les besoins immédiats du boom minier et sur l’économie future du XXIe siècle.
Le Plan National de Transformation sur 15 ans
Je propose un plan de transformation éducative sur 15 ans (2025–2040) reposant sur deux piliers :
La formation technique et professionnelle
La modernisation agricole et l’autosuffisance alimentaire
D’ici 2040, ce plan devrait permettre à la Guinée de former plus de 2 millions d’étudiants dotés de compétences concrètes – capables de travailler dans l’ingénierie, la logistique, les opérations minières, la construction, l’agrobusiness, etc. Cela pourrait sortir 40 % de notre population de la pauvreté, créer une classe moyenne résiliente et réduire notre dépendance à la main-d’œuvre étrangère.
S’inspirer des réussites internationales
Nous n’avons pas besoin de tout reconstruire. Plusieurs pays ont connu des tournants similaires et ont réussi :
L’Allemagne : avec son système dual, combinant enseignement théorique et apprentissage en entreprise.
Le Rwanda : qui a aligné l’éducation sur l’agriculture et l’agrobusiness pour stimuler l’emploi rural.
Le Vietnam et l’Indonésie : qui ont réformé leur formation professionnelle pour soutenir leur industrialisation rapide.
Une approche régionale pour la Guinée
Nous devons restructurer notre système éducatif en fonction des réalités régionales :
Fouta Djallon : agriculture, irrigation, élevage.
Haute-Guinée : ingénierie minière, maintenance, logistique.
Guinée Maritime : pêche, commerce portuaire, infrastructures.
Guinée Forestière : écotourisme, gestion durable des forêts.
Chaque élève, dès le collège, doit pouvoir choisir une voie – technique ou agricole – et bénéficier d’une formation théorique deux jours par semaine et d’un apprentissage pratique trois jours par semaine. En 9ᵉ ou 10ᵉ année, ils seront déjà en apprentissage dans leur domaine.
Réformer sans reconstruire
Nous n’avons pas besoin de créer une nouvelle bureaucratie. Cela conduit souvent à la corruption et au gaspillage. Il faut plutôt :
Réorienter les écoles existantes en centres de formation professionnelle.
Conserver 1 ou 2 universités d’élite pour la recherche et la gouvernance.
Créer un cadre légal obligeant les entreprises minières et agricoles à investir dans la formation locale.
Appel à l’action
Nous ne pouvons pas attendre. La réforme doit commencer en 2025. En 2040, elle doit porter ses fruits.
Si nous restons passifs, les bénéfices de Simandou profiteront davantage aux étrangers qu’aux Guinéens. Mais si nous agissons maintenant, ce moment deviendra notre tournant- économique, social et humain.
Une nation affamée ne peut avancer. Une nation sans qualification ne peut concurrencer. Toute autre affirmation est une illusion.
Ce n’est pas seulement un appel à la réforme, c’est un appel à la survie, à la souveraineté et à une transformation générationnelle.
A propos de l’auteur :
Gassim Bah est titulaire d’un Executive MBA de Brown University (États-Unis) et de l’IE Business School (Espagne). Banquier exécutif basé à Washington D.C., il est spécialistede l’économie mondiale, de la finance et des systèmes bancaires. Il contribue activement aux réflexions stratégiques sur les enjeux économiques et financiers
contemporains.
Conférencier inspirant, il s’exprime en plusieurs langues : anglais, français, japonais, ainsi que plusieurs langues nationales africaine